interview de Claude
Extrait Officiel du Karaté 2005
Maître des temps modernes
Il a fait du karaté sa science, son Art, sa discipline de vie. Formateur, entraineur réputé, il est l’un de ces pionniers qui ont modifié profondément et de façon positive l’enseignement de la discipline qu’il s’était choisie comme les nombreux élèves qui l’ont suivie dans cette aventure. Claude Boucaibeille, la noblesse du Karaté Français.
Claude Boucaibeille, en bref.
Né en 1940 dans le Sud, il n’eut pas la partie facile dans son enfance, et c’est sans doute pourquoi il s’est investi si fortement dans le karaté, avec l’énergie opiniâtre de ceux qui veulent s’en sortir et la passion fascinée de ceux qui découvrent les lois du Budo. Dès son retour d’Algérie, il s’engage dans l’enseignement et l’approfondissement de sa propre pratique avec une énorme détermination. Travaillant avec tous les grands Experts japonais de l’époque ; Murakami, Kase, Enoeda, Nakayama, Kanazawa, Oeischi, Mochizuki, Yamagushi, Mabuni, Nakahashi, Higahonna et beaucoup d’autres ! Il devient expert, tant en shotokan Ryu qu’en Shito Ryu et Goju Ryu, formant des centaines de ceintures noires et plus d’une dizaine d’internationaux, fondant de nombreux clubs. Spécialiste érudit de la technique, il a aussi aiguisé son énergie inépuisante et son tempérament bien trempé de policier professionnel dans tous les styles de « percussion ». Il excelle en Taï Jitsu, enseigna aussi le Kick boxing, la boxe thaï.. Rien d’étonnant que ce remarquable spécialiste, qui est aujourd’hui l’expert technique des Pays de la Loire, soit aussi demandé dans de nombreux pays pour des stages.
Les maths et les étoiles
J’avais eu un prof de maths sévère, mais qui m’enchantait. Je voulais faire comme lui, enseigner les maths. Ou l’astronomie car les étoiles me fascinaient. Mais comme j’étais aussi très manuel, on m’a mis en technique. J’ai fait une carrière, je suis devenu ingénieur, mais j’ai toujours regretté ma vocation contrariée. Je crois que si j’ai fait du Karaté avec l’idée de devenir professeur, c’était un peu à cause de cela.
J’ai perdu la mémoire…
Des années de ma jeunesse, je ne retrouve pas grand-chose. Quelques images de 1945 et de l’épuration, une femme tondue entre deux gendarmes et un chien rouge qui la suivait. Ce n’était pas une très bonne époque pour moi. J’étais brulé sur une grande partie du corps et on m’appelait « le brulé » J’avais honte de cela et j’étais en colère après un peu tout, un « teignard », une tête de cochon qui ne supportait pas l’injustice et l’humiliation. C’est que j’étais élevé par mon père, ma tante et ma grand-mère dans une ambiance stricte qui m’a beaucoup appris, mais qui était un peu froide. Quand j’avais à peine 14 ans, je traînais avec des gars qui roulaient en voiture, jouaient et buvaient avec des filles et on se battait souvent…j’aurais pu tourner voyou. Vers vingt ans, j’ai eu deux accidents dans l’année et je sui resté la première fois plusieurs mois dans le coma, la seconde fois une semaine. Il a fallu que je réapprenne à bouger, à marcher. Les Arts Martiaux m’y ont aidé. Les médecins m’ont dit que j’avais surement basculé des compétences d’un hémisphère du cerveau vers l’autre ! En tout ça, j’ai failli mourir, j’ai vu le tunnel, j’ai entendu la musique, et je suis revenu avec des souvenirs bizarres. Et puis, j’ai perdu une grosse partie de ma mémoire. Peut-être que je ne souhaitais pas trop me rappeler…
Les sept portes
Le karaté est une discipline ancienne, qui, en passant par Okinawa, plonge ses racines dans les Arts Martiaux Chinois. C’est pourquoi, quand on cherche bien, on traouve tous les arts martiaux réunis dans les bunkaïs ! Ce qu’on croit être un simple blocage est souvent une saisie avec projection… On peut travailler ces principes selon un modèle que j’appelle les « sept portes ». La première c’est voir, la seconde, c’est Regarde, une étape déjà plus avancée. Ensuite, les sphères des deux combattans se rapprochent, c’est la porte du Contact. On travaille les blocages, la ligne droirz. Aux portes quatre et cinq, les sphères s’interpénètrent, on travaille les entrées dans la distance, le tirer-pousser, l’absorption, les pivots, les changements de trajectoire, les premières clés et projections. A la porte six, les sphères roulent l’une sur l’autre, ce sont les esquives, les rebonds, les rotations enfin la porte sept mélange tout le reste.
Apprendre avec les cinq cerveaux
Le système nerveux de l’homme est très complexe. On a cinq cerveaux principaux dans le sytème nerveux central dont certains très archaïques, qui nous viennent des amphibiens, et aussi des centres nerveux dans les articulations, vieux restes des « cerveaux-relais » dont les grands reptiles avaient besoin pour bouger leurs grands corps. C’est que le travail de mémorisation pour atteindre la spontanéité est complexe. Je crois qu’il faut d’abord travailler naturellement à un rythme léger et puis passer par une phase de décomposition. Le travail au ralenti permet non seulement de préciser le geste, mais aussi à celui-ci d’être progressivement enregistré par nos cerveaux. Si on cherche trop vite la vitesse, cela ne va pas. Mon expérience m’indique qu’il faut environ 150 000 à 180 000 répétitions pour inscrire un geste. Sans quoi on ne pourra pas le faire spontanément – l’esprit freine le corps quand on est obligé de réfléchir – ou c’est autre chose qui viendra en réflexe, ce qui est inscrit dans notre base mutuelle d’instinct de conservation, une fuite par exemple.
Mes Maximes
Il y a trois phrase que je répète souvent pour exprimer l’essentielle de ma philosophie de karaté. Le première, « le Karaté est un miroir qui reflète ce que tu es, et non ce que tu portes », me permet de dire qu’on ne peut pas se cacher ni tricher en karaté. LA seconde, « ce n’est pas le qui grade qui donne de la valeur à l’homme, mais l’homme qui donne de la valeur à son grade », indique qu’on garde la responsabilité morale de son comportement au-delà des symboles. Enfin la troisième, que j’aime beaucoup « quelle que soit la couleur de la ceinture, si le nœud est mal fait, le pantalon tombe par terre ! ». Si tu ne maîtrises pas les bases, aucun grade ne te sauver de l’échec et même du ridicule. C’est une leçon très profitable.
Finir en cherchant
J’ai longtemps été très karaté sportif, pour le jeu et pour l’expérimentation sportive. Aujourd’hui bien sûr, je continue à suivre les gars, mais j’ai pris un peu mes distances avec le projet sportif…et surtout cela devenait trop dur pour moi sur le plan des émotions. On est heureux quand ils sont heureux, tristes quand ils sont tristes. C’est trop « d’arrachage de cœur ». Je veux finir comme j’ai commencé en cherchant. Quand je regarde derrière moi, je vois le peu de chemin parcouru et ce qu’il reste à faire, je me dis que le plus long chemin parcouru et ce qu’il reste à faire, je me dis que le plus long est encore devant. Je ne suis pas fier de grand-chose, si ce n’est de ma femme et je ne regrette rien, sauf peut-être de n’avoir pas appris à jouer du piano.
Sportif ou traditionnel ?
On oppose souvent le karaté sportif à un autre qui serait traditionnel. Mais on ne fait pas de karaté traditionnel. Nous ne sommes pas bouddhistes, nous ne vivons pas dans une société hiérarchisée comme celle des Japonais. Ce que nous faisons, c’est du karaté académique. C’est-à-dire qui recherche les principes techniques et leur application dans une perspective martiale. Le karaté sportif, c’est la même chose mais avec des règles qui réduisent très largement le champ technique, et avec un objectif de victoire différent. Le risque est surtout de s’éloigner de la recherche académique pour travailler juste un ou deux gestes efficaces en vitesse (qui ont été isolés par d’autres dans une recherche académique approfondie). Mais au final, sans les bases qui auraient du précéder ce travail, il ne reste plus grand-chose et il est très difficile de se réinvestir à ce moment-là.
Etre efficace
Dans mon métier, j’ai connu le danger de mort, j’ai aussi connu les bagarres à la vie à la mort… Alors qu’est-ce que cela veut dire l’efficacité ? J’ai plus réussi par le calme et le contrôle que par des techniques. Si on veut être "efficace », on peut aller s’épanouir à la boxe thaï, à la boxe anglaise, où il faut vraiment avoir du cœur au ventre, mais on peut aussi s’endurcir en faisant du triathlon ou du vélo ! Après, évidemment, on paye le prix des excès en vieillissant. Le karaté, c’est beaucoup plus que cela. D’abord, c’est sans doute la discipline la plus « efficace » qu’on puisse faire toute sa vie- parce que, être efficace, c’est d’abord se protéger soi-même et dans la durée. Et puis quand je vois comment on peut changer les gens, ce qu’ils arrivent à faire avec le karaté, ce qu’ils de viennent sur le plan humain… Le Karaté nous apprend à donner le meilleur de nous-même dans les moments sérieux de la vie et ce ne sont pas forcément des agressions physiques. Maintenant, je le sais profondément : le Karaté est un moyen.
Casser des briques
Un jour, j’ai vu la démonstration d’un Canadien, un costaud qui s’appelait Fern Moreau et qui faisait des casses très impressionnantes. Je me suis dit qu’il fallait absolument que je fasse aussi bien et j’ai commencé à travailler. La casse, c’est sûr, c’est du mental, il faut affermir le corps, mais c’est surtout une bonne connaissance des principes scientifiques. C’est de la mécanique, et même de la mécanique des fluides : on doit connaître les bons angles de pénétration, la vitesse qui convient, etc. La respiration y est essentielle, car elle permet de bien unir le mouvement et de transférer l’énergie recherchée dans la frappe. A la fin, on arrive à faire des choses assez spectaculaires qu’on voit rarement dans les festivals. Il y a aussi beaucoup de trucs ! Ceux que je connaissais, je l’ai dénoncés. Moi, quand j’ai commencé à me blesser un peu moins, je me suis dit que c’était bon, que j’avais compris quelque chose, et j’ai arrêté. Ce n’est sans doute pas un test inutile, mais c’est franchement mauvais pour le corps quand c’est mal fait.
D’un style à l’autre
J’ai commencé à étendre ma pratique grâce à des rencontres ; Celui-là montrait quelque chose de différent du précédent et c’était enrichissant. A partir de là, il a faluu que j’aille voir partout. Cela m’a permis un approfondissement extraordinaire. Parce qu’il y a des leurres dans le karaté, des choses qui ne sont pas dites ou pas de la bonne façon. Mais en allant voir chez les autres, on trouve ce qui n’apparait pas dans son style de départ. Par exemple le shotokan est un bon style d’apprentissage car les techniques sont claires et longues pour plus de percussion, mais certains gestes trop accentuées ne veulent plus rien dire. Tout ayant la même origine, les comparaisons sont très éclairantes. Les styles le plus proche des origines ? Peut-être le shito ryu. Le style que je préfère ? Le Karaté.
Qu’est-ce qu’un bon karatéka ?
C’est cette question vaste et diffuse, que nous avons posée, sans idée préconçue quant à la réponse, à un « panel », comme on dit à la télévision. C’est –à-dire, en ce qui nous concerne, à des karatékas à la fois divers par l’âge et l’expérience, mais représentatifs et dont la qualité nous donne envie de savoir ce qu’ils ont à dire sur le sujet. Jeunes athlètes, professeurs, entraineurs, pratiquants…
San idée préconçue, donc. Allions-nous obtenir de leur part un catalogue technique de ce qu’il convient de maîtriser pour « être bon », ou des réponses toutes identiques ? Ni l’un ni l’autre. Spontanément, nos intervenants ont le plus souvent cherché la « pierre angulaire » de l’édifice, l’essentiel. Et, ce fut presque une surprise pour nous, si les communs sont évidemment nombreux dans leurs réponses, ce qui leur vient spontanément à l’esprit, face à notre questionnement, est souvent assez personnel, assez différent. C’est ainsi que nous avons récolté précieusement, non seulement des éléments très riches de réponse qui vous feront voir les choses autrement, mais au-delà : ces réponses se sont naturellement « incarnées », à travers des expériences, à travers l’intimité d’une relation intense, profonde et exigeante de chacun d’eux avec le karaté. Vous ne lirez pas, bien-sûr – et ce point fut souvent mis en avant par ceux que nous sollicitions – la « vérité » sur la question. Aucun d’entre eux ne souhaitait passer pour quelqu’un prétendant la détenir, d’une façon ou d’une autre. Le résultat est sans doute plus intéressant. Modestes, mais amicaux, ils se sont simplement prêtés au jeu intellectuel et introspectif que nous leur proposions et ils ont été généreux. Il ressort de cet exercice difficile de mise en mots, de belle silhouettes très humaines, façonnées par « leur » karaté et une grande idée : celle du Karaté, moyen puissant, levier de ‘âme humaine pour monter vers le meilleur. ( Emmanuel Charlot/Olivier Remy)
Claude Boucabeille «la transmission»
Parole de Haut Gradé